Le bouchon en plastique

le 22/01/2010 à 03h 48min 56s

Bouchons en plastique

La vie du bouchon en plastique d’une bouteille d’eau minérale, référence 9 782070 300198 bascula tout à coup le jour où cette dernière fut ouverte.

C’était par un de ses chauds après-midi d’été où il fait si bon de rester à l’ombre ; confortablement allongé dans la fraîcheur de la cave, le bouchon se sentait bien, à sa juste place.

Tout se passa très vite, alors qu’il étirait ses petits bras bleu de bouchon pour bailler, une grosse main humide et chaude vint le saisir tout à coup.
Le bouchon sentit son cœur se rompre, la main le tenait fermement tandis qu'un poids immense le tirait vers le bas.
Manquant de paniquer, le bouchon se rappela soudain les dernières paroles de ses parents :
« Un jour, malgré tous tes efforts, toi aussi il faudra que tu apprennes à céder ».

Ce qu’il faut savoir à propos des bouchons, c’est que ce sont des êtres extrêmement généreux qui, dès la naissance, connaissent le tragique de leur condition. Nous ne nous attarderons pas trop longuement sur les rapports qu’ont pu entretenir les bouchons tout au long de l’histoire avec les liquides qu’ils protègent, mais nous sommes certain que le lecteur y découvrirait, à n’en point douter, un grand nombre de comportements héroïques si l’envie lui prenait de chercher.
Tel bouchon qui rassure telle vodka qu’elle ne sera jamais bue alors qu’il est lui-même terrorisé par l’imminence de sa séparation avec sa tendre et chère compagne la bouteille de verre, ou encore tel autre qui pendant plusieurs mois parvient à convaincre tel soda qu’en étant bu, il rendra une personne heureuse…Il est peu de destinées plus belles que celles des bouchons.

Alors qu’il est emporté par la gigantesque main, le bouchon jette un coup d’œil à son amie aqueuse. Bouleversé cette dernière s’ébroue en grandes vagues. Témoin impuissant, l’enveloppe plastique ne sait comment la rassurer, elle articule difficilement quelques mots dans sa langue en gesticulant timidement mais les sons produits ressemblent à des craquements.

Le bouchon inspire profondément puis s’exclame :
« Mes amis, calmez-vous, ce qui se passe aujourd’hui ne doit pas nous surprendre, oui bien sur dès à présent notre vie va pour toujours changer, mais ne le savions-nous pas ? ne nous sommes-nous pas préparés ? tous ensemble, dans l’harmonie si parfaite de notre union, nous étions heureux, il est temps désormais de partager ce bonheur.
Eau, toi qui es si pure, tous nos regards se tournent vers toi car c’est toi et toi seule qui va être bue ; jusqu’à aujourd’hui et pour toujours, nous avons été et serons tes valets, sois fière et montre toi digne de l’épreuve que tu vas traverser, tu es celle qui va tous nous réaliser… »
En parlant, il verse une larme
« Ma sœur, apaise de ta douceur, abreuve, étanche la maligne soif de notre aimé possesseur. Nous avons été crée pour cela, nous mourrons tous ensemble pour cela. »
Et les yeux de chacun de briller d’un feu qui embraserait le soleil.
« Il n’y a pas eu une minute de ma vie où je ne vous ai aimés de tout mon coeur. »

Et déjà, voilà qu’une autre main titanesque vient en renfort de la première.
Le bouchon sent une terrible chaleur se coller contre lui.
Il ne s’en rend pas compte, mais il est en train de résister de toutes ses forces pour retarder l’ouverture de la bouteille. Inconsciemment, il ne peut s’empêcher de protéger ses compagnons.
Toutefois ses forces, comparées à celle du géant sont plus que dérisoires. Il faiblit et tout à coup, une violente déchirure lui traverse le ventre.
Sa tête devient légère et il se sent monter, monter, en tournoyant. Il aperçoit l’azur d’un ciel splendide couronné de l’éclat d’un soleil chaleureux, quelques nuages jouent dans le champ des étoiles à naître, il y reconnaît une bouteille…

« … je ne lave…»

Soudain, c’est la chute.
Brusquement il heurte le sol et roule sur quelques mètres. Légèrement écorché, il met quelques instants avant de rouvrir les yeux. A quelques centimètres du caniveau, il tient difficilement en équilibre, il relève la tête et sent ses yeux se brouiller.
Ce qu’il voit, ce n’est pas un homme en train de prendre du plaisir à boire l’eau mais un monstre ridicule qui verse le si précieux liquide sur une toile de fer brillante et vulgaire devant les yeux d’une créature blonde.

« ..mes voitures… »

Avant de disparaître à jamais, le pauvre bouchon maudit le dernier flot de paroles prononcé par son maître :

« qu’avec de l’eau minérale »

Et disparaît dans les égouts.


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Commentaire(s):

fans
le 22/01/2010 à 12h 40min 15s
Excellentissime ! Quelle chute (au propre comme au figuré) ! Je ne m'y attendais pas du tout. J'aime beaucoup cette idée d'imaginer le point de vue d'un objet. De considérer l'ouverture comme une déchirure, d'imaginer que le dévissage donne au bouchon le tournis, tout ça est vraiment inédit et très amusant. Ca permet d'imaginer toute une autre réalité et en plus, ça fait bien rire !







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